Qu’est-ce qu’un "corps médiateur" ?
- l’Upanishad de l’Embryon : "Ce corps, en vérité, né du rapport charnel, développé dans l’enfer (de la matrice), sorti par le passage de l’urine, composé d’os, recouvert de chair, revêtu de peau, est empli d’excréments, d’urine, de bile, de phlegme, de moelle, de graisse, de cervelle et d’autres nombreuses ordures" (1).
- la Mundaka Upanishad : "C’est à l’intérieur de ce cœur, auquel aboutissent, comme les rayons d’une roue de chariot, tous les canaux du corps, que se trouve le Soi […] Ce Soi réside dans l’espace à l’intérieur de la ville lumineuse du brahman […] le Soi brillant et pur à l’intérieur du corps […] il est là, dans la cavité du cœur" (2).
Comment une contradiction aussi criante est-elle possible ? comment ne menace-t-elle pas la cohérence d’une anthropologie ? Je crois que nous pouvons répondre à cette question en disant que ces deux textes – il y en a bien d’autres qui leur ressemblent – ne doivent pas être affrontés l’un à l’autre, mais placés dans une perspective dynamique. Leur opposition dessine un parcours, un processus de transformation : on va de l’un à l’autre.
Pour la culture hindoue, et plus spécialement pour le yoga, on chemine d’un corps brut, plein, opaque vers un corps travaillé, évidé de l’intérieur, éclairé à partir de son centre. C’est ce travail, cette construction – qui est aussi bien une déconstruction – du corps qui justifie la discipline du yoga.
C’est ce travail qui produit de la médiation. Il y a à rappeler tout simplement que "médiation" vient de "medium", le "milieu". Le corps que l’on a, que l’on hérite, qui nous échoit est un corps sans "milieu", il n’a pas de centre ; il est "rempli", "plein" au mauvais sens du terme, saturé. Le corps que l’on devient par la pratique du yoga est un corps que l’on allège, qui se creuse, qui laisse exister de l’espace à l’intérieur de lui, espace du souffle, lieu du cœur. Il se structure, se sculpte, laisse place au "vide médian", il se centre. Dans ce corps travaillé, les énergies circulent, convergent, permettent une mise en relation du haut et du bas, de la droite et de la gauche, de l’intérieur et de l’extérieur, d’une identité et d’une altérité, de soi et de l’autre : c’est cela que j’appelle un "corps médiateur".
Il y a donc là "deux corps", ou plus exactement deux dimensions du corps : une dimension concrète, charnelle, le "corps dense" et une dimension qui signifie pour autre chose, que nous appelons souvent "corps subtil", mais que je préfère appeler "corps de signe(s)" ou "corps signifiant", qui traduit exactement l’expression sanskrite linga sharira. La tradition indienne distingue même une troisième dimension, qui ne s’incarne pas, qui constitue en quelque sorte l’archétype, l’idée – au sens quasi platonicien – du corps, et qu’elle appelle "corps causal" ; je la laisserai de côté dans mon propos.
Préhistoire du yoga : le concept "corps" dans le Veda
La double dimension du corps dans la discipline yogique ne surgit pas de rien ; elle prend sa source dans de très anciennes conceptions védiques sur lesquelles il me paraît intéressant de faire un rapide retour.
1. D’abord, le concept "corps" y a une extension beaucoup plus large que chez nous. Les exégètes des Veda parlent du "corps" du sacrifice, du "corps" de la Parole, des "corps" des dieux, du "corps cosmique (celui du Purusha)", du "corps social (celui du dharma distribué en varna, en classes hiérarchisées)". A la fois littéral et métaphorique, leur discours entend concilier deux aspects contradictoires : "Dire d’une entité qu’elle a un corps, c’est dire simultanément qu’elle est légitimement une et légitimement multiple et que les rapports entre cette unité et cette multiplicité sont eux-mêmes organiques. C’est signaler que l’entité est susceptible légitimement de conserver son unité alors qu’on la fragmente et susceptible de division alors qu’elle est réunie" (3). En ce sens, est "corps" ce qui fait carrefour de l’un et du multiple. Nous avons un écho affaibli de cette sémantique quand nous usons du terme latin corpus pour désigner un ensemble cohérent et diversifié de textes ou quand nous parlons d’un corps de doctrine.
Le corps dans le Veda ne fait donc pas référence d’abord, comme chez nous, à la notion d’individualité, mais à celle de structure organique et articulée. En ce sens, des réalités abstraites ont un "corps". Ainsi est-il possible de dire, sans qu’il s’agisse d’une métaphore poétique, que "le sacrifice est le nombril du monde" (4), ou bien que le rite mal accompli présente des lésions ; le Taittîriya Brâhmana énumère, par exemple, les mesures à prendre pour "suppléer à ce qu’il y a de déchiré dans le sacrifice, ce qu’il y a de blessé, de luxé" (5).
Mais ce n’est pas tout : entre les différents "corps", celui des dieux, celui du cosmos, celui du rite, il y a un rapport homothétique, du fait même qu’ils sont des corps. Il y a une "mise en écho". Chacun résonne avec les autres ; ainsi ce qui est réparé, purifié ou créé sur l’aire limitée du terrain sacrificiel répare, purifie ou crée du nouveau pour l’univers ; en ce sens, le sacrifice est bien "le nombril du monde". A travers le concept "corps", s’exprime une seule structure à plans multiples, en interactivité les uns avec les autres. La singularité de cette pensée védique rend compte de faits ultérieurs : par exemple, que, dans la Bhagavad Gîtâ, Vishnu se révèle à Arjuna comme le corps ultime qui contient tout, hors duquel il n’est rien : "O Dieu, je vois en ton corps tous les dieux aussi bien que les divers êtres" (XI, 16) ; ou que, dans les yogas tantriques, le corps individuel soit homologué au corps cosmique : "en vérité, tout corps est l’univers", affirme le Nirvâna Tantra.
2/ Le Veda connaît un scénario rituel appelé dîkshâ, "initiation", dont le but est d’expérimenter l’immortalité ou la vie divine. Pour y accéder, le candidat doit commander à son profit une séquence liturgique, grâce à laquelle les brahmanes officiants vont le transformer. A travers toute une série de gestes et de symboles, ils vont lui fabriquer un corps rituel par lequel il pourra monter chez les dieux, et qu’il va leur offrir, se donnant lui-même en victime sacrificielle. Encore faut-il que, lors de ces incursions programmées dans une autre dimension, le voyageur laisse son corps humain en dépôt et en gage aux prêtres. Sinon, son ascension deviendra à une errance sans retour. Il devra, pour récupérer son identité habituelle, payer des honoraires à ceux qui ont veillé dessus. Tel est le sens profond de la rémunération des officiants dans le cadre de ce type de rites (6).
Nous voyons bien ici qu’il y a deux corps : un corps normalement incarné, et un corps fabriqué, construit par le sacrifice et pour le sacrifice. Cela explique évidemment l’origine de la double dimension du corps dans l’hindouisme classique et dans le yoga.
Le corps et le Soi dans les Upanishads
Les Upanishads introduisent une réinterprétation du Veda. L’action rituelle n’est plus, désormais, le seul moyen d’entrer en relation avec les dieux et de gagner une immortalité discontinue, précaire ou différée dans l’au-delà. On lui substitue la connaissance qui n’est pas une somme de savoirs, mais une compréhension intuitive, à partir du cœur, qui est le siège de l’âtman ou "soi". "Non-né" et impérissable, l’âtman est l’absolu (brahman) qui s’incarne, qui migre à travers des individualités pourvues d’un corps et d’une personnalité. Il connaît toutes sortes de conditions, mais il ne se modifie pas. L’être humain porte en lui ce germe d’éternité. Le travail de conscience débute par la reconnaissance de sa présence. Il implique ensuite une ascèse psychologique intense, destinée à déjouer les pièges des fausses identifications. Car il est facile de considérer le soi comme un moi superlatif, pourvu de toutes les qualités et de tous les pouvoirs. Or l’âtman n’est pas "quelque chose", il n’est pas un "moi", il n’est "ni ceci ni cela", et le nom qu’on lui donne demeure purement indicatif. Ce que l’on dit de lui est toujours inadéquat, mais on peut le percevoir à travers ses manifestations : l’élan vital, le souffle, l’intelligence subtile. Il s’agit alors de se rendre plus transparent, moins multiple, moins attaché aux objets de désir. De laisser être le sujet véritable.
On pourrait croire que, dans cette perspective, le corps est dévalorisé : charnel, mortel, siège des désirs et des attachements, il pourrait faire l’objet d’un certain mépris, ou au moins d’une grande méfiance. Le sage pourrait avoir pour ennemi son corps, sur le chemin qui le conduit à se transformer. Or ce n’est pas ce qui se produit. Dans la plupart des Upanishads, le corps a une valeur éminente en qu’il donne un siège à l’âtman : le Soi, non-né et immortel, n’est pas du corps, mais, tant qu’il y a vie, il est dans le corps. La chair mortelle, dense et obscure, est évidée en son centre ; elle porte le secret d’une présence invisible : "Dans cette forteresse du brahman qu’est le corps, un petit lotus forme une demeure à l’intérieur de la laquelle règne un petit espace". Là, dans ce lotus du cœur, repose "l’âtman pur de toute tache, qui ne connaît ni la vieillesse ni la mort, ni la peine, ni la faim, ni la soif" (7). "Comme des gens qui ignorent l’emplacement passent et repassent, sans le trouver, sur un trésor, de même toutes les créatures vivent jour après jour sans découvrir ce monde du brahman" (8).
Le corps, travaillé par l’ascèse, est donc un espace pour le Soi. Mais de plus, il indique un chemin, celui de l’individuation, il constitue la médiation existentielle nécessaire vers la connaissance métaphysique qui libère. Soumettre le corps au travail de l’intériorité devient alors une grande voie spirituelle : "C’est à l’intérieur du corps où le souffle est entré que ce Soi subtil doit être atteint par la conscience" (9). Divers mythes évoquent l’intérieur, le secret, la quête, et toute une anthropologie du corps "creux", qui s’évide à travers les pratiques du renoncement pour se révéler comme le contenant du divin. L’être humain a été créé avec des ouvertures vers l’extérieur, "c’est pourquoi on voit au-dehors, et non pas en soi-même. Mais un sage a scruté son âme, le regard tourné en lui-même à la recherche de ce qui ne meurt pas" (10). Dans cette rentrée en soi, l’être humain ne s’enferme pas ; au contraire, il bascule dans la dimension cosmique : "Aussi vaste que l’espace qu’embrasse notre regard est cet espace à l’intérieur du cœur […] le ciel et la terre y sont réunis, le feu et l’air, le soleil et la lune, l’éclair et les constellations" (11). Comment mieux dire que le corps est médiateur ?
Dans cette culture qui pense l’univers comme un grand corps, on envisage inversement le corps humain comme un cosmos intérieur. Alors, entre le corps du monde et le monde du corps, il y a résonance et réciprocité, comme il y a non-dualité entre le brahman, l’Être universel, et l’âtman, le Soi individuel.
Le corps du yogi
C’est seulement à partir de cet héritage culturel que peut vraiment se comprendre la dimension corporelle dans le yoga, sinon on risque de rabattre cette discipline sur une simple gymnastique. Je voudrais évoquer rapidement ici trois points : la posture, la respiration et la notion d’ascèse.
La posture, tout d’abord. Nous avons pris l’habitude de dire "faire des postures". Mais âsana est une expérience avant d’être un exercice, elle vise un état. Manière de se poser plutôt que d’agir, "laisser-être" plutôt que "vouloir-faire", ce travail sort du cadre de nos repères communs où le corps est toujours utilisé, instrumentalisé pour un but – quel qu’il soit : performance, santé, efficacité au travail, beauté, etc. A notre grand étonnement, les Yoga sûtras ne décrivent aucune posture ; en réalité, ils se contentent de situer la pratique dans un champ sémantique où la question fondamentale est la réconciliation des dualités inhérentes à la condition humaine. Ils disent seulement âsanam sthirasukham : la posture réalise l’union des opposés, la stabilité et la fluidité, la rigueur et la souplesse,etc. Ils n’abordent aucunement les questions techniques, ils ne prennent pas position sur un objectif d’efficacité qui tendrait à la belle posture, à une expression parfaite du corps. En ce sens, la posture est pure présence à soi-même et elle est la médiation indispensable à travers laquelle cette présence est aussi en relation avec les autres et le cosmos. Bien entendu, on comprend que cela se travaille et qu’en fait les 84.000 (!) postures inventées par les yogis, en particulier tantriques, sont des exercices particuliers qui ont des buts spécifiques, limités – renforcer, assouplir telle région du corps, restaurer telle fonction. Mais on comprend aussi que tout cela n’a de sens qu’en préparation à la posture royale, l’assise "stable et agréable", dans laquelle on est simplement, dépouillé de toute tension vers un but, libre de tout impératif d’amélioration ou de réalisation. C’est bien cela que Patanjali désigne quand il dit âsanam sthirasukham.
Quant à la respiration, elle mérite une réflexion analogue. Son rythme binaire inspir-expir, la communication qu’elle produit naturellement entre intérieur et extérieur en ont fait un merveilleux symptôme de la condition d’être incarné. Le travail du yoga va consister d’abord à la libérer de ses conditionnements affectifs, de sa soumission à l’émotionnel, de l’instabilité du mental. Les Upanishads avaient déjà bien repéré tout l’intérêt de la chose : "Comme un oiseau attaché par un fil vole de droite et de gauche et, ne trouvant nulle part où se poser, finalement se réfugie à l’endroit même où il est lié, de même le mental, après avoir volé de place en place, ne trouvant nulle part ailleurs où se fixer, se réfugie dans le souffle" (Chândogya VI, 8, 2). Mais ce n’est là qu’une première étape, même si elle est essentielle en ce qu’elle permet la pacification de la conscience et l’accès aux états méditatifs. Ce qui est plus important encore pour le yogi, c’est de découvrir, à travers la fonction respiratoire, la présence du "souffle" (prâna). La respiration réflexe, quand elle devient consciente, permet d’expérimenter que nous sommes traversés, parcourus, animés par le souffle. Cela change tout : au lieu de prendre de l’air, de le garder, nous le recevons et le laissons nous habiter. Nous devenons des instruments de musique, des caisses de résonance : le corps n’est plus rempli, saturé, il s’est laissé évider, creuser, et le souffle peut y circuler. Ce sentiment contemporain rejoint de très vieilles conceptions, que le yoga indien n’a jamais oubliées. Tout à l’heure, je rappelais que le yoga est né dans une culture où le corps du monde et le monde du corps sont conçus comme analogues : avec le souffle, se révèle un continuum du vivant entre les deux. Prâna irrigue de manière invisible l’un et l’autre, le cosmos et le corps humain.
"Hommage au souffle
qui régit l’univers entier […]
Lorsque le souffle a fait pleuvoir
Pour féconder les plantes
Arrosant la vaste terre,
Les troupeaux mugissent de joie […]
Et les plantes mouillées de pluie,
S’entretiennent avec le souffle :
"tu as étiré notre durée de vie !
tu nous as parfumées !" […]
Je te salue, souffle,
Quand tu suscites l’expir ;
Je te salue, souffle,
Au moment de l’inspir […]
Ce corps qui m’est si cher,
Il est à toi, souffle de vie !" etc. (12)
Remarquons simplement ici que cette découverte se fait dans le corps charnel, ou plutôt à travers celui-ci : là encore, nous rencontrons cette notion de corps médiateur.
Je terminerai par quelques remarques sur l’ascèse du yoga. Le mot "ascèse" charrie avec lui des représentations de maîtrise, de mortification, de violence même qui ne sont pas absentes de certaines formes de yoga en Inde ancienne et contemporaine. Il a déjà une meilleure résonance quand on le rapporte à son étymologie grecque aiskèsis, "l’exercice". Mais le mot sanskrit nous fait bifurquer vers d’autres pistes qui donnent à voir, encore une fois, non pas l’opposition, mais la mise en perspective entre le corps de chair et le "corps de signes". Les yogis parlent en effet de tapas, littéralement la "cuisson" du verbe TAP- "chauffer, cuire", pour désigner leur ascèse. Si nous en avions le temps, il faudrait mettre cela en relation avec le rite védique de confection du corps sacrificiel dont j’ai parlé pour commencer : ce rite s’appelle en effet dîkshâ, qui vient d’un verbe DAH- "cuire" ; mais le sanskrit nous donne aussi pakti, "la maturité (spirituelle)", qui vient de PAC-, "chauffer". Le travail du yoga échauffe et cuit le corps charnel, il le dessèche peu à peu, lui fait perdre son "humidité", le "réduit", le concentre. C’est pourquoi on dit que les grands yogis n’ont pas besoin d’être incinérés, comme le sont les gens du commun : ils sont déjà "cuits" par le yoga. Or comme le remarque un proverbe populaire – les Indiens ont eu aussi leur La Palisse ! – "ce qui est cuit ne peut plus jamais être cru". Tapas veut bien dire d’abord "cuisson", mais il implique aussi une transformation irréversible, créatrice d’un développement, d’une forme, d’une vie nouvelles. C’est un terme profondément polysémique : on le trouve associé à la création du monde par les dieux (du tapas de Prajâpati sort le cosmos) ; à la gestation de l’embryon (abhitap-, "couver") ; à la cuisine, bien sûr ; à la brûlure du désir, à l’échauffement dans la relation sexuelle (rappelons que la conception d’un enfant mâle est assimilée à un sacrifice) ; aux effets énergétiques des exercices du yoga…
En définitive, le corps qui peut être médiateur est celui qui a subi cette cuisson transformante. Seulement, l’opération autrefois accomplie par le rite védique est devenue une sagesse consciente, où les individus sont en position active et développent leur vie spirituelle.
Notes :
1. Maitry Upanisad, III, 4
2. Mundaka Upanishad II, 2, 6-7 ; III, 1, 5 et 7
3. M. Angot "Les corps et leurs doubles. Remarques sur la notion de corps dans les Brâhmana", in Images du corps dans le monde hindou, V. Bouiller et G. Tarabout éd., CNRS Editions, Paris, 2002, p. 128
4. Vâjasaneyi samhitâ 23, 62 trad. M. Angot, ibid, p. 132
5. Taittiriya-samhita I,7,3,1; trad. Charles MALAMOUD in Madeleine BIARDEAU et Charles MALAMOUD Le sacrifice dans l’Inde ancienne, EHESS, Louvain-Paris, Peeters, 1996, p.166
6. Pour plus d’informations, il faut lire l’analyse magistrale de Charles Malamoud "Terminer le sacrifice. Remarques sur les honoraires rituels dans le brahmanisme", op.cit. en particulier p.p. 190-197
7. Chândogya Upanishad VIII, I, 1-5
8. Ibid. VIII, III, 2
9. Mundaka Upanishad III, I, 9
10. Katha Upanishad IV, 1
11. Chândogya Upanishad VIII, I, 3
12. Trad. complète Jean Varenne "Hymne au souffle", Revue française de Yoga, ed. FNEY, n°23, août 2003, p. 162-164
Ysé Tardan-Masquelier
__________________________
Résumés :
LE CORPS MEDIATEUR DANS LE YOGA
Que le corps soit médiateur, c’est cela même qui fait le yoga, qui autrement ne serait qu’une gymnastique sophistiquée ou une technique de bien-être salutaire.
Tout d’abord, le yoga est l’héritier d’une pensée plus ancienne, celle du Veda, dans laquelle fait "corps" ce qui articule le multiple en une unité, ce qui passe du chaotique à l’organisé : ainsi parle-t-on d’un "corps du cosmos" ou d’un "corps de la parole (rituelle)". Ensuite, les Upanishads vont faire du corps, charnel et périssable, l’éminent porteur du Soi, la "forteresse du brahman", et de la vie dans un corps, la seule possibilité d’expérimenter la libération. "Le corps, fosse d’impuretés… le corps où se dénouent les attaches du monde", dira plus tard Tukârâm (Psaumes du Pèlerin, LXXXIV).
Enfin, le yoga, particulièrement les écoles tantriques, travaille à évider le corps pour qu’il devienne un "espace intérieur" où circulent les souffles (prâna) qui animent, régulent le composé psycho-corporel : la géographie de ce "corps de signes" (linga sharîra) finit par être conçue comme une "échelle" vers le haut. Le yogi va ramasser au plus bas ses énergies pour les faire monter vers le sommet de son crâne et au-delà. Les forces dispersées dans les différentes fonctions, il les fait converger dans le mouvement sublimant.
Ce "corps creux", solidaire d’une anthropologie de la soustraction ou de la perte, est vraiment "lieu de la rencontre" avec soi-même, avec l’autre, avec le divin.
Ysé Tardan-Masquelier
_______________________
THE BODY AS MEDIATOR IN YOGA
Yoga consists precisely in the body being the mediator – otherwise yoga would be just a sophisticated form of gymnastics or a technique for maintaining good health.
In the first place, yoga has inherited an even more ancient system of thought – the Vedas. According to the Vedas the "body" is that which structures the many into unity, which moves from chaos to order. Accordingly, reference is made to the "the body of the cosmos" or to "the body of (ritual) language". Next, the Upanishads see the body, which is fleshly and perishable, as the august bearer of the Self, the "fortress of the brahman"; and understand bodily existence as the only way to experience liberation. "The body, pit of impurities …. The body where attachment to the world is unfastened", as Tukaram will say later (Psalms of the Pilgrim LXXXIV).
Lastly, yoga, especially the tantric schools, works at emptying the body so that it might become an "interior space" where the breaths (prâna) circulate and give life, regulating the body-soul composite. The geography of this "body of signs" (linga sharira) ends up being understood as a "ladder" leading upwards. The yogi gathers up his energies from the lowest level and makes them rise to the top of the skull and beyond. He makes the powers dispersed in their various functions converge in a movement leading to the highest level.
This "hollow body", in keeping with an anthropology of withdrawal or loss, is really the "place of meeting" with oneself, with the other and with the divine.
No comments:
Post a Comment